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Le double standard de la compassion

La compassion est au cœur de nos professions.

Quand on questionne une étudiante ou jeune intervenante sur les raisons qui les poussent à aller vers leur profession, on entend généralement une réponse du genre « pour aider les gens ».

Dans notre domaine, on a la compassion au naturel. C’est bien connu!

La compassion est naturellement associée à nos professions. On l’utilise même en l’affichant comme étant l’une de nos principales caractéristiques dans les campagnes publicitaires visant à renflouer nos rangs. Nous ne pouvons pas être contre la vertu: qui voudrait recevoir de l’aide de quelqu’un qui n’en a pas?

La compassion, c’est la volonté de voir l’autre

se dégager de sa souffrance”
Elle fait partie de nos fonctions respectives, de nos organisations d’appartenance et de nos plans d’intervention. Les critères de réussite, ça vous dit vaguement quelque chose? Pour plusieurs d’entre nous, c’est notre pain quotidien.
Et, parlant de pain quotidien. Il n’est pas surprenant de rappeler que nos professions- à tout le moins celles des travailleuses sociales et infirmières- ont pris racine il y a plusieurs décennies dans le travail des religieuses, qui consacraient leur vie au don de soi sans compter envers la communauté. Peut-être que cette logique a-t-elle encore quelque chose à voir avec cette compassion qu’on offre dans le cadre de notre travail et qui parfois, peut nous mener à bout de souffle.

Toujours est-il que dans l’ombre de cette dite compassion, toutefois, se trouve un ingrédient tout aussi important, qui devrait être appris dès notre jeune âge, qu’importe nos allégeances professionnelles futures.

L’autocompassion

L’autocompassion, selon Neff (2018), implique d’agir de la même façon envers soi-même qu’on le ferait pour les autres dans des moments difficiles. Lorsqu’on vit un dur moment, au lieu de simplement ignorer sa souffrance ou se critiquer, on doit s’arrête et s’accorder un peu de douceur. Combien d’entre-nous prenne vraiment le temps d’accueillir cette douleur et de se dire : « vraiment, c’est un moment difficile. Comment pourrais-je rendre tout cela plus confortable et prendre soin de moi? »

Le double standard de la compassion

Et pourquoi est-il important de l’acquérir si on est un aidant?

Dans nos cursus scolaires, on nous apprend à professionnaliser la compassion envers les autres. On nous parle toutefois peu de celle que nous devrions nous accorder, malgré qu’elle soit un antidote actif contre la fatigue de compassion (Beaumont et coll., 2016) et que son application régulière soit associée à la résilience, au bonheur et à des niveaux de stress plus bas que la moyenne (Neff, 2018).

Imaginez ce qui suit

Supposons que la compassion est comme de l’eau, cette ressource vitale à notre existence. Vous êtes embauchée pour aller forer des puits en pays sous-développés pour que les femmes et enfants de ces régions n’aient pas à marcher quotidiennement pendant des heures pour avoir accès à quelques litres de cet élément essentiel à la vie. Vous avez soif puisqu’il fait très chaud. Lorsque l’eau jaillira pour la première fois, vous donnerez-vous le droit de vous rafraîchir comme ces gens qui en ont désespérément besoin? Si la réponse est non. Je vous pose la question :

Pourquoi ce double standard?

De la bienveillance pour les autres. Et pour soi, aussi. Vous passez vos journées à offrir des verres d’eau aux gens qui vous consultent. Vous vous permettez même d’y ajouter des glaçons et des saveurs quelconques afin que cette eau soit encore plus désaltérante et douce en bouche.
Pourquoi ne pas vous en offrir en retour? Pourquoi vous limitez-vous à remplir simplement votre gourde à l’abreuvoir du coin, dont son eau- en passant- goûte vraiment mauvais et est plus que tiède.

L’autocompassion, c’est notre capacité à répondre aux difficultés que nous vivons avec bienveillance, chaleur et compréhension (Thupten, 2015). Elle a été associée au bien-être, à des taux plus bas de fatigues de compassion et d’épuisement professionnel (Beaumont et coll. 2016) chez des étudiants en psychothérapie. Elle a aussi été positivement associée à la satisfaction dans la vie en général, tout comme à l’espoir (Yang, 2016).

Pourquoi s’en priver? Pensez également à comment vous prenez le temps d’accueillir votre enfant et de le réconforter lorsqu’il en a besoin – et que vous en avez l’énergie, détail important! Imprégnez-vous de cette bienveillance et de cette chaleur réconfortante.

Autocompassion Formation Québec

Maintenant, posez-vous la question : est-ce qu’il m’arrive de me réconforter de cette façon, quelquefois?

Si la réponse est oui, vous êtes sur la bonne voie.

Si la réponse est non, il faudra y mettre du temps.
Beaucoup d’amour et de chaleur.
Et si vous y arrivez, ne serait-ce qu’une fois de temps en temps, vous en découvrirez rapidement quelques-uns de ses bienfaits.

Parce ce qu’avouez que de l’eau tiède, c’est pas mal ordinaire.
Que ce soit pour vos clients, ou pour vous-même.
Offrez-vous donc un peu de douceur.
Vous aussi, vous y avez droit.

Références

  • Beaumont, E., Durkin, M., Martin, H., C.J., et Carson, J. (2016). Measuring relationships between self-compassion, compassion fatigue, burnout and well-being in student counsellors and student cognitive behavioral psychotherapists: a quantitative survey, Counselling and psychotherapy research, Mars 2016, 16(1), p.15-23.
  • Gouvernement du Québec (2018). Campagne sur les carrières en santé et services sociaux. [En ligne]. http://www.msss.gouv.qc.ca/ministere/campagnes/carrieres.php, page consultée le 2018.03.18.
  • Neff, K. (2018). Self-compassion. [En ligne]. https://self-compassion.org, page consultée le 2018.03.18.
  • Thupten, J. (2015). N’ayons plus peur; oser la compassion peut transformer nos vies. Paris: Belfond.
  • Yang, Y. Zhang, M. et Kou, Y. (2016). Self-compassion and life satisfaction: the mediating role of hope, Personality and individual differences, 98(2016), p.91

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