Catégorie(s) : Travail social- Vivre l'intervention

Juste un bacc., pas de math!

Lorsque j’avais 7 ou 8 ans, mon père m’a dit un jour : « Ma fille, tu n’es peut-être pas très intelligente, mais au moins, tu es gentille. Et ça, c’est important dans la vie. »

À travers le temps, j’ai donc réellement cru en mon inintelligence et intériorisé le fait que d’être gentille était souhaitable pour être une personne désirable en société. À défaut d’être intelligente, j’allais toujours bien être TRÈS gentille. Parce qu’à voir la vitesse avec laquelle j’ai réussi à retenir mes tables de multiplication, il était clair que les sciences naturelles et autres professions connexes n’allaient pas me faire vivre. J’aurais été maigre longtemps !

Un peu plus tard, alors que je venais de vivre mon premier quart de travail en prévention du suicide, j’ai compris que cette gentillesse allait m’amener du pain sur la table… et sous-estimais par le fait même tout le bonheur que ma profession allait m’apporter quotidiennement dans les années à venir.

Mais en fait, vous vous en doutez, il fallait beaucoup plus que de la gentillesse pour y arriver.

Le stigmate des « sciences molles »

Malheureusement, les sciences sociales ont ce stigmate parfois lourd à porter qu’il ne faut pas grand-chose pour les réussir, mis à part un CEGEP sans math.

Et le sans math, ici, est important.

Parce que, soyons honnêtes. Le sans math sous-entend dans l’esprit de bien des gens que si vous ne les avez pas faits, ou que vous n’êtes pas en mesure de les faire, c’est que vous n’êtes pas assez doué(e) pour aller dans une autre branche plus prestigieuse socialement. Vous vous êtes rangé du côté « des sciences molles », de cet art qui ne repose sur pas grand-chose de scientifique, mis à part quelques articles lus dont certains croient que vous n’êtes pas en mesure de comprendre la méthodologie, de toute façon.

Et parce qu’aider une femme appauvrie par un problème de consommation ou soutenir un homme vivant les répercussions du VIH, ce n’est pas perçu par certains comme étant très glamour, sauf quand tu es l’avocat de Tom Hanks dans le film Philadelphia.

Pourtant, l’intervention sociale, c’est plus que de la gentillesse.
Et c’est là que la magie opère.
Même sans cours de maths.
Une évaluation rigoureuse à l’écoute des gens
Qu’importe le temps que ça prendra

Lorsqu’un évènement survient, l’intervention sociale implique d’analyser de façon rigoureuse le contexte d’émergence d’une situation problématique et de chercher avec perspicacité les causes impliquées. Et bien souvent, la raison de consultation est bien loin de ce qui est en cause. Pour ce faire, nous devons outrepasser la notion de manifestations pour comprendre le contexte et l’histoire de vie des gens, ce qui demande du temps et beaucoup d’écoute.

L’intervention sociale, c’est cet heureux mélange entre l’art et la science qui nous amène à analyser comment l’interaction entre cette personne et son environnement- ses proches, son école, son travail, par exemple- peut expliquer le vécu actuel de la personne. Nous nous intéressons à ce que cette personne pense de ce qu’elle vit et y accordons beaucoup d’importance pour la suite des choses. Parce que nous croyons fermement au droit à l’autodétermination. Vous savez, ce petit quelque chose qui fait que votre professionnel respecte vos croyances et volontés, même si ce n’est pas tout à fait ce que son organisation aurait espéré ou ce que ce professionnel anticipait ?

Parce que vous avez le droit de ne pas suivre la parade.

Vous êtes unique à nos yeux.

L’intervention sociale, c’est d’intervenir à contre-courant en défendant des clientèles moins nanties et avec peu d’écoute de la part de la société alors qu’ils auraient beaucoup à offrir, s’ils avaient les conditions nécessaires pour le faire.

Réclamer le droit d’exister

Brandir des pancartes sur la colline parlementaire, il y a bien des gens qui disent que ça ne donne rien. Mais nous, on sait qu’en plus que d’avoir une tribune pour élever nos voix pour ceux qui n’en ont pas, il y a un travail en coulisse qui donne de réels bénéfices à ceux qui s’y sont préparé.

Pour y arriver, il a fallu se rencontrer, travailler ensemble les soirs et weekends malgré les aléas de la vie, et ce, dans un tout cohérent. Que des gens sont sortis de leur isolement – physique et émotif- et que cela leur a fait du bien.

Que le fait de passer au téléjournal le soir, rapidement dans le bas de l’écran, ça a fait sourire Martine parce comme tout le monde, elle aimerait bien avoir son heure de gloire, elle aussi. Ces 2 secondes et quart ont fait sa journée. Et ont fait même beaucoup plus puisque depuis, elle vient à nos rencontres sans en manquer une, que cela implique de marcher 1km qu’importe la météo, de s’habiller et manger un peu… Bref, tout ce qu’un bon plan de thérapie cognitivo-comportemental aurait prescrit en appelant ça « de l’activation comportementale ». Nous, on appelle ça aussi nourrir l’espoir, sortir de l’isolement, activer ses rythmes de base. Et retrouver une portion de sa dignité. Parce que de faire entendre sa voix, c’est aussi réclamer le droit d’exister.

Au-delà des symptômes et diagnostics, il y a un monde d’opportunités qui mérite qu’on s’y attarde

L’intervention sociale, ce sont des milliers d’heures à accompagner des gens en évaluant constamment une myriade de variables. Alors que l’anxiété et les manifestations dépressives sont souvent mis en avant-plan, nous nous intéressons plutôt au contexte de vie de ces gens et croyez-moi, on trouve des informations pas mal plus détaillées et nuancées que le niveau d’anxiété sur une échelle de 1 à 10.

Parce que Caroline, qui a « des symptômes anxio-dépressifs », elle est bien plus que ça. Elle est une maman dévouée, une travailleuse méthodique et fidèle.  Mais que veux-tu, avec son maigre salaire minimum, difficile d’arriver même si elle avait été seule. Quand arrive le souper, elle fait semblant d’avoir mangé au travail pour que ses enfants ne s’aperçoivent pas qu’il n’y en a pas pour elle aussi. À travailler 40 heures par semaine, le ventre vide, en espérant que le petit dernier n’attrape pas la gastro pour ne pas manquer 1 journée d’ouvrage- et le salaire qui va avec- ça se peut qu’elle se sente stressée. Et triste aussi. Et envieuse d’une vie plus douce. Et que son 2 1\2 humide, il est non seulement petit en mètres carrés, mais il l’est encore plus avec 2 enfants en bas âge qui ne peuvent pas se dégourdir dehors sans y risquer de se faire frapper. Parce que le seul logement qu’elle a pu trouver dans ses prix, il est sur un boulevard passant à 45 minutes du parc le plus proche.

Et ça, je n’ai peut-être pas fait mes maths au CEGEP mais je sais que ce contexte de vie fait toute la différence dans l’état de santé et le niveau de bonheur de Caroline.

Mon père avait donc raison

Ce que mon père appelait « de la gentillesse » était en fait un intérêt pour l’être humain, son vécu et son contexte de vie. Une écoute empathique, une perspective bienveillante, de la compassion. L’adage de ma profession est d’ailleurs explicite en ce sens :

L’humain avant tout.

L’humain avant d’avoir rempli le formulaire A-38. Même si vous risquez les remontrances de votre chef clinique ou une note à votre rapport de rendement comme quoi vous ne complétez pas dans les temps requis les protocoles d’évaluation.

L’humain avant la priorité organisationnelle qui stipule qu’on ne peut passer plus de 15 minutes avec un client, même s’il vient de tout perdre en l’espace de 2 heures et qu’il a trouvé- on ne sait pas où- le courage de venir nous consulter. Cinq minutes avant la fermeture des portes.

Avec cette façon de voir le monde, nous dépassons les chiffres pour aller à la rencontre de la personne et l’accueillir en toute simplicité, malgré des démarches rigoureuses en arrière-plan.

Parce qu’aucun cours de math ne me permettra d’accueillir avec compassion cette mère qui vient de retrouver son fils unique sans vie.

Et parce qu’aucun de ces cours de statistiques ne me permettra de bien saisir le vécu de cet homme qui vit l’itinérance au quotidien dans cette grande ville surpeuplée dont personne ne daigne lui offrir un sourire.

Et ça, papa, c’est vrai que c’est important.

Parce que l’intervention sociale, c’est un peu comme du patinage artistique. En avant-plan, nous y voyons une danse fluide et bien coordonnée, qui change de rythme au son de la musique, qui comporte des jeux de pieds rapides et parfois lents et qui, le contexte l’oblige, demande plusieurs figures de hautes voltiges. Des fois, seul un patineur tombe. Et parfois, ce sont les deux. Tout cela parait simple et facile. Mais derrière cette magnifique prestation, beaucoup d’entraînement, de techniques, de la supervision et des sciences – oui, oui ! – nous permettent que la danse s’actualise avec fluidité malgré l’adversité de la glace et de la gravité.

Et croyez-moi, je suis en pleine période post-partum actuellement, je sais de quoi je parle en termes de gravité.

Mon père avait aussi tort

Oui, il avait aussi tort. Il n’y a pas que les sciences pures dans la vie qui méritent le respect et qui sont dignes d’être étiquetées « intelligentes ». Car l’humain a ce petit quelque chose qui défie les lois de la physique et des mathématiques. On appelle ça l’humanité.

Et pour s’en approcher, les cours de math ne sont pas un prérequis.
Du moins, pas encore.
Soyons fièr(e)s de notre profession et continuons de faire passer l’humain avant tout.
C’est tellement plus important que tout le reste.

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