Catégorie(s) : Attachement- Outils et stratégies en intervention

Comment prévenir les ruptures du lien thérapeutique en contexte d’enjeux d’attachement

L’attachement est la construction des relations à travers les connexions. Pas étonnant alors, que notre travail auprès des gens qui ont de multiples traumas relationnels nous amène parfois à vivre des ruptures répétitives au travers de nos rencontres. Face à ces connexions parfois difficiles à suivre, on se demande alors : comment puis-je rendre le processus thérapeutique moins chaotique? Et de façon plus précise : comment puis-je prévenir les ruptures liées aux enjeux d’attachement?

Mieux comprendre les enjeux d’attachement à l’âge adulte

Les enjeux d’attachement sont liés à la façon dont les gens se connectent. Il existe quatre styles d’attachement qui sont abondamment décrits dans la littérature (et la sphère du web, par le fait même!) et dont je ne reviendrai pas en détail dans cet article :

  • Sécure
  • Ambivalent-anxieux
  • Évitant
  • Désorganisé

En entrevue, une façon de documenter ces styles est de s’intéresser à la façon dont ils se déploient à travers ces différentes sphères du vécu relationnel :

  • La façon dont ils perçoivent et gèrent leurs émotions et l’intimité (sexuelle et affective)
  • La façon dont ils perçoivent et gèrent l’intimité (sexuelle et affective)
  • Leur habileté à communiquer leurs émotions et leurs besoins
  • Leur mode de réponse aux conflits
  • Leurs attentes face à leurs relations significatives

Lorsque les enjeux d’attachement altèrent le fonctionnement social des individus, et plus particulièrement les relations qu’ils ont avec des proches qui sont importants à leurs yeux, ce sont généralement dans ces sphères que nous voyons les impacts les plus difficiles à vivre.

Les enjeux d’attachement: “l’apnée du sommeil” des connexions

Pour bien comprendre les enjeux d’attachement, comparons ceux-ci à l’apnée du sommeil.

Cette pathologie crée des pauses dans la respiration, des microruptures dans le sommeil et des nuits qui ne permettent pas de récupérer physiquement.

Une des solutions pour la traiter est un appareil à pression positive, communément appelé C-Pap, qui permet de rétablir la pression de l’air dans les voies aériennes. Lorsque le corps veut bloquer la respiration, la pression positive « force » le passage de l’air pour en éviter le blocage.

Avec les enjeux d’attachement, un phénomène similaire se fait sentir : les relations qui devraient être une source de ressourcement et de détente deviennent le théâtre de plusieurs microruptures du lien. Nous assistons en quelque sorte à une mise en scène de traumas relationnels passés. Ces ruptures peuvent rendre la relation « lourde » et épuisante puisque nous sommes constamment à dépenser notre énergie à tenter de stimuler la reprise du lien.

Notre rôle: être le “C-Pap” de l’attachement

Puisque nous nous sommes dit un peu plus tôt que « l’attachement et la construction de la relation à travers la relation », l’attention que nous portons à ces micro-ruptures et la façon avec laquelle nous les accueillons est très importante.

À ce juste titre, nous devons alors devenir un peu comme le C-Pap de l’attachement. Un de nos objectifs sera alors de réguler la pression du lien pour que malgré les blocages ou ralentissements, celui-ci reste toujours aussi prévisible et sécure.

Pour y arriver, voici quelques stratégies qui peuvent vous aider à y parvenir.

Reconnaître les erreurs: c’est réparateur

Plusieurs de nos clients ont une longue fiche de route traumatique. Rares sont ceux qui ont eu la chance de recevoir des excuses ou même une simple confirmation que ce qui est arrivé était effectivement terrible et injuste. Dans le cadre de vos rencontres, les erreurs que vous pouvez commettre sont alors une occasion en or pour reconnaître qu’ils sont dignes de respect. C’est à travers ces petits processus de réparation, qui peuvent vous sembler banals, que les gens peuvent apprendre et expérimenter à nommer leurs besoins dans un milieu sécuritaire. Une petite réparation à la fois, ils peuvent alors gagner en confiance dans leur affirmation de leurs besoins, pour ensuite déployer leurs ailes dans leur milieu de vie.

Tolérer la déconnexion

Il arrive parfois que la déconnexion du lien ait une fonction bénéfique et ceci, nous l’oublions trop souvent! La personne peut par exemple :

  • Être en plein apprentissage de l’affirmation de ses limites
  • Avoir besoin d’un pas de recul pour se réguler émotionnellement
  • Ou tout simplement réorienter la façon dont elle souhaite vivre la relation thérapeutique que vous partagez.

Ces situations sont saines et doivent être honorées. Encore faut-il en être capable!

Puisque nous sommes nous aussi des humains -dois-je le rappeler! -, nous sommes nous aussi sujets à vivre des sentiments de rejet et d’abandon et devons rester attentifs à ce que la relation suscite en nous.

Une bonne analyse de notre contre-transfert est alors nécessaire pour bien manœuvrer nos interventions, mais aussi pour prendre soin de nous à travers la relation thérapeutique.

À ce sujet, j’aimerais vous mentionner que plusieurs articles (par exemple : Yusof, 2015, pour ne nommer que celui-ci) traitent de l’effet du style d’attachement du thérapeute sur la relation thérapeutique et ses résultats. Ceux-ci nous rappellent que nous pouvons nous aussi ressentir les impacts de notre style d’attachement dans la bulle thérapeutique, même si nous sommes le ou la professionnelle à bord!

Les effets de la sacro-sainte neutralité

Trop longtemps, la neutralité affective a été mise sur le piédestal de l’attitude à privilégier en intervention. Elle est ainsi trop souvent confondue avec certains de nos devoirs professionnels, comme l’indépendance et l’objectivité. Ceux-ci n’impliquent pas d’office la neutralité affective et de toute façon : qui peut dire sans aucun doute n’avoir jamais ressenti d’émotions ou de contre-transfert en rencontre?

Qui plus est : l’accordage affectif étant la première étape du développement d’un lien d’attachement (Reese, 2018).

Et je vous pose la question : aimeriez-vous avoir un intervenant ou thérapeute dénudé de toute empathie et intérêt à vous soutenir émotionnellement?

Je fais partie de ces cliniciennes qui croient à quel point une attitude affective neutre peut être néfaste pour plusieurs de nos clients. Ils viennent chercher du réconfort et de la compassion. Dans ce contexte, la neutralité affective peut être perçue comme un abandon ou du rejet et ainsi favoriser une revictimisation des traumas relationnels passés. La moindre des choses est de les accueillir dans ce besoin et les aider à en recevoir en retour.

Une auteure qui développe en détail sur cette prémisse est Susan Pease Banitt. Dans son ouvrage “Wisdom, attachment, and love in trauma therapy. Beyond Evidence-Based Practice”, elle pousse la réflexion en détail avec des stratégies pour redorer les fleurons de cette chaleur en intervention.

En conclusion

Lorsque des gens ont vécu de nombreux traumas relationnels, nous pouvons nous attendre à en ressentir les impacts sur le lien dans nos rencontres. Au lieu de les fuir, prenons le temps de les accueillir avec bienveillance et accordage. Nous serons alors en mesure d’aider les gens à reprendre du pouvoir dans leurs interactions avec les gens de leur environnement et ainsi, renforcer apprentissages appris en rencontre dans leur vie de tous les jours. N’est-ce pas un de nos objectifs?

Références

Levy, T.M. et Orlans, M. (2014).  Attachment, trauma and healing, Understanding and treating attachment disorder in children, families and adults. London : Jessica Kingsley Publishers.

Pease Banitt, S. (2019). Wisdom, attachment, and love in trauma therapy. Beyond Evidence-Based Practice. New York: Routhledge.

Reese, C. (2018). Attachment. 60 trauma-informed assessment and treatment interventions across the lifespan. Whisconsin: PESI Publishing & Media.

Yusof, Y. et Carpenter, J. (2015). The impact of family therapists’ adult attachment styles on their therapy: an interpretive phenomenological analysis. Journal of social work practice, 29(4), p.395-412.